Hate me [PV Belzé]

Les souvenirs s’accumulaient dans ma tête comme on jette des pommes dans un panier. Assis sur le carrelage de marbre blanc, je me tenais les tempes entre les mains pour tenter d’en chasser la douleur. Mais son sang battait furieusement contre mes paumes, semblant vouloir jaillir de mon corps pour en expulser le venin. Inutile. Je savais que me mutiler n’empêcherait pas le poison de Lucifer de me torturer. J’étais un alchimiste de talent, je connaissais les produits que l’on peut administrer à une victime pour la tourmenter. Le virus du Diable était de ceux qui imprègnent le corps plutôt que le sang lui-même. Je pouvais le sentir.

Les pas de Nausicaa s’éloignèrent précipitamment, le silence revint dans le couloir et je lâchai un cri bestial de fauve blessé qui résonna dans tout le manoir et, j’en étais certain, dans tout le cinquième. J’aurai pu me poser la question de savoir ce que j’avais fait pour mériter un tel traitement mais rien aux enfers n’avait une logique qui ressemblait plus ou moins à une justice. Moi-même je ne la dispensais plus depuis fort longtemps. Mon crime avait surement été de refuser à Lucifer la distraction qu’il demandait mais la punition qui s’en était suivie n’avait, je pense, pas grand-chose à voir. Cette morsure punissait surement davantage mon refus de lui appartenir pleinement comme les autres démons qui peuplaient son royaume que celui d’égayer sa soirée.

Les pas qui martelaient le sol revenaient et j’entendis vaguement le bruissement de son élégante robe de soieries rouges. Un tintement de verre lointain, j’empêchai un nouveau cri de sortir de ma gorge. Un grondement sourd résonna malgré moi et mes ailes se déployèrent sans que je ne leur demande rien derrière mon dos. Mes cornes jaillirent de ma tête, rejetant mes mains, toujours plaquées sur les côtés de mon visage. Une odeur d’origan puissante se dégage sous mon nez et la douleur commence à se diluer dans mon crane.

Nausicaa me retire ma cape et ma chemise déchirée par mes attributs démoniaque d’une main, soutenant le flacon sous mon nez de l’autre. Jusqu’à ce que j’ai la force de prendre la fiole moi-même et de la porter à mes lèvres. Pencher la tête en arrière se révèle un combat plus difficile que la guerre contre le ciel, mais la main de Nausicaa effleure mes cheveux. Je devine que j’ai failli envoyer ma tête dans le mur qui se trouve juste derrière moi, j’imagine que ça n’aurait pas fait beaucoup de bien à ma pauvre frogne.

- « Voulez-vous que je vous emmène dans votre chambre ? »

- « Non. Au labo Nausicaa. »

- « Je vous y emmène. »

Elle passa un bras sous le mien et me releva. Je m’effondrai presque sur elle alors qu’elle ne fléchissait même pas les genoux. Cela avait du bon d’avoir une vampire de plusieurs siècles comme boniche, c’était paré à toutes les éventualités ces bêtes-là, après quelques années de service. Et malgré son apparente fragilité, c’était une guerrière robuste et puissante. Je ne doute pas une seconde que si elle avait été un peu plus grande elle aurait pu me jeter en sac à patate sur son épaule.

Mon manoir me semblait trop grand, je crus un moment que nous n’arriverions jamais au sous-sol. La fiole que j’avais avalée m’anesthésiait complètement, j’avais troqué ma douleur corporelle contre une espèce de flottement mental qui me brouillait les pensées. Mais je pouvais à nouveau bouger, cela prendrait simplement plus de temps et de concentration de créer quelque chose d’utile. La voix de Nausicaa s’élève, je ne compris pas tout de suite ce qu’elle disait. L’anesthésiant n’enlevait pas les images qui défilaient dans ma tête, j’avais du mal à me concentrer.

- « Vous arriverez à neutraliser le mal ? »

- « On ne neutralise pas Le Mal… Par contre, on peut se neutraliser pour éviter d’en souffrir. On v se la jouer Blanche Neige. »

J’eus un ricanement sinistre en commençant lentement à préparer mon propre poison. Je le conçus pour qu’il neutralise mon corps et mon esprit tant qu’il rencontrerait le venin dans mon organisme. Un sommeil sans rêve et sans douleur. Une pause silencieuse… Une pause où je serai vulnérable. Je rajoutais de quoi rendre mon corps aussi ardent que le venin qui y coulait. Quiconque poserait la main sur moi quelques secondes, même Lucifer en personne, serait brulé jusqu’à l’os. Hors de question que qui que ce soit en profite pour m’atteindre.

Je remontai presque seul jusqu’à ma chambre. Je m’assis dans le grand fauteuil d’ébène près de la fenêtre, et lorgnant la fiole fumante, je soupirai déjà de soulagement à l’idée que toute cette douleur allait se terminer. Car elle revenait déjà, l’anesthésiant ne l’avait pas contenue bien longtemps. Allez hop… Santé !

Le liquide irradia ma gorge et me plongea immédiatement dans le noir le plus complet. Nausicaa avait pour consigne de laisser le chaos se semer au 5ème, et même de l’encourager. Lucifer allait apprendre ce qu’une marée de vampire, car nous étions la nation infernale la plus nombreuse, pouvait faire comme désastre lorsque je n’étais pas là pour la brider. Il pouvait toujours tenter de tous les éliminer, mais il détruisait son armée et il ne pourrait de toute façon pas tous les éliminer. Ces créatures sont comme des fourmis. Si on en laisse une seule, la colonie se reforme. Et j’avais depuis longtemps veillé à ce qu’elle puisse toujours se reformer.